Ce que révèlent les échanges sous les post des réseaux sociaux
Les différents événements de la politique internationale envahissent peu à peu le champ des réseaux sociaux qu’ils soient professionnels (tels que LinkedIn) ou non (tels Facebook renommé Meta). Tout récemment la pandémie Covid-19, puis la guerre en Ukraine, enfin les événements de Palestine semblent prendre le pas sur les différents marronniers médiatiques et notre quotidien. Les assertions sans fondements, les convictions-boulets, des mots méprisants, des phrases suintant la haine, se succèdent au bas de publications. Et s’y déchaînent souvent un irrationnel débridé et les passions exacerbées. Chacun s’érige expert de l’information, vitupère contre le « camp d’en face », tandis que les trolls alimentent et ravivent les polémiques. Ces échanges peu respectueux manifestent en creux différents niveaux de division humaine : en soi même tout d’abord, dans notre écosystème immédiat ensuite, sociétale enfin.

La division en soi-même
La première des divisions est celle qui est tapie en soi-même : quelles sont les contradictions, les paradoxes de notre vie ? Les assume-t-on ? Je fais ce que je ne veux pas, et inversement. Certaines de mes valeurs profondes ou de mes convictions sont niées par mes actes. Il y a un conflit de valeurs ou d'idées dans mon esprit car je n'ai pas de vision cohérente ou de système de pensée unifiée, mais une simple juxtaposition, un kaléidoscope compliqué de connaissances déposées, stratifiées par des expériences de vie, sans réflexion critique. Ce qu'accentuent le rythme et les changements incessants de nos vies contemporaines. S'y superposent nos sentiments, nos émotions souvent mal canalisés, les blessures du psychisme qui nous font réagir de manière totalement irrationnelle. Enfin notre vanité et notre orgueil nous enferment et durcissent notre comportement.
Ce premier niveau est celui de l’éthique, et de l’ordre que nous avons à mettre en nous-mêmes et dans nos actes propres.
La double division de notre environnement relationnel
Le niveau supérieur est celui de notre environnement relationnel et il se subdivise en deux depuis l'avènement de la société industrielle.
D'abord sur notre lieu de vie, avec nos voisins et ceux avec qui nous partageons un immeuble, un quartier. Et bien sûr la famille restreinte - couple et enfants aujourd'hui. Souvent réduit à la portion congrue par notre mode de vie individualiste, il trouve sa pierre d'achoppement dans les intérêts défendus. Souvent lié à la propriété matérielle ou à la manière dont nous vivons (et donc notre culture), voire les valeurs, les difficultés à vivre ensemble sur un territoire limité manifestent et exacerbent ce que le premier niveau de division a laissé ouvert comme une plaie.
Ensuite sur le lieu de travail. Ici les nombreux conflits d'intérêts, l'individualisme poussé par le culte de la performance, la concurrence débridée et la multiplicité des normes contraignantes, les disfonctionnements organisationnels, le poids des critères exclusivement financiers dans le circuit décisionnel, en font le terrain privilégié des querelles d'ego et des divisions. Ce qui amplifie bien évidemment nos divisions de premier niveau.
Ce deuxième niveau est celui de l'économique, et de l’ordre que nous avons à mettre dans notre « maison » ou communauté restreinte.
L'exponentielle division des "systèmes" du monde
Le dernier niveau est celui de la vision du monde et de la narration qui l'accompagne. Qu'est-ce qui fait sens pour la société ? Quelles sont les finalités des Etats ? Quel curseur mettre dans l'étendue de son pouvoir : la Cité recouvre-t-elle la ville, la nation, le monde entier globalisé ? Il y a-t-il un meilleur régime de gouvernement entre monarchie, oligarchie et démocratie ? Bien plus, le poids parfois écrasant de l'histoire amène là encore une complexité d'interprétation des faits : entre ce qui s'est réellement passé, les intentions des acteurs, voire leurs calculs - manipulations ou raisons "de bonne foi"-, et les conséquences à court, moyen ou long terme, les divergences se révèlent abîmes...
Sans compter le nombre incalculable de ceux qui se veulent "pragmatiques", mais dont la position cache en réalité l'absence totale de vision d'ensemble, une incapacité à faire une synthèse personnalisée de l'ensemble des stimuli informationnels qu'ils reçoivent, et dont l'opinion fluctue au gré des événements et de leurs intérêts.
C’est le niveau politique, où ordre que nous avons à mettre dans la Cité, la société politique à laquelle nous appartenons.
L'apocalypse des réseaux
Les réseaux sociaux percutent et mélangent ces trois niveaux et offrent un théâtre d'opinions et de division quasi absolu. La démesure des interconnections et les possibilités des technologies digitales, la caisse de résonnance médiatique, le recours à l'anonymat (permettant de dire et d'écrire sans aucune limites) accroissent les fractures sociétales tout en éloignant chaque jour davantage de l'action dans le monde réel.
En ce sens, les réseaux sociaux du "monde" digital sont apocalyptiques, c'est-à-dire qu'ils révèlent d'une manière inouïe nos divisions humaines sans possibilité de solutions.
Ils nous éloignent de toute manière du bonheur commun et de la Paix, auquel, pourtant, nous aspirons tous.
Ce n'est que par la patiente reconquête de la connaissance et du respect de soi, puis des autres, et de l'admiration intelligente de la nature, dans les pas des Sages qui nous ont précédés, et dans la juste mesure de notre place dans le cosmos, que se trouvent les clés de cette aspiration secrète et universelle.
Comme ce que vit Socrate dans l'inscription au fronton du temple de Delphes : "Homme, connais-toi toi-même".
Tout ne commence-t-il pas par un temple ?